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"Je me sens bien Rochelaise" dit-elle. Et pour cause. Née à La Rochelle, elle est issue d’une famille implantée entre Charente-Maritime et Deux-Sèvres. « Du côté de ma mère, une partie de mes ancêtres ont subi les dragonnades.» – ndlr : les persécutions menées sous Louis XIV contre les communautés protestantes.
Emeline grandit à Dompierre-sur-Mer, y fait sa scolarité, collège inclus. « Des copines de mon âge, une vie de village, avec l’autonomie qu’on te donne à la campagne. »
Le cours d’Arts plastiques est celui qu’elle préfère. « La prof, Madame Conant, était créole, elle venait en classe en boubou. Je l’adorais ! »
Pour Emeline, il est très vite clair qu’elle s’orientera du côté des Arts. Du lycée Valin, où elle prend l’option Arts plastiques avec 6-7 heures par semaine - « Je ne suis pas venue par hasard ! » - elle sortira titulaire d'un bac L.
Sauf que pour faire les études supérieures qui lui plaisent, Emeline se rend compte qu’elle n’a pas exactement la bonne spécialisation. « Ce qui me plaît, c’est le design… l’objet, l’espace, sur le papier, sous toutes ses formes. Je ne savais pas forcément à l’époque que je voulais être graphiste. Mais les BTS qui m’intéressaient alors n’étaient pas accessibles avec un bac Arts plastiques. »
Elle s’inscrit par défaut en fac de langues. « En fait, j’ai livré des pizzas pendant 9 mois. Je me souviens de l’hiver, du froid sous les gouttes de pluie en solex… Mes parents étaient dépités ! » Une situation qui ne peut pas durer. Alors Mademoiselle Vivier se lance dans une mise à niveau en Arts appliqués. Elle est reçue à La Souterraine, dans la Creuse. « Une année à La Souterraine… Quand t’es là-bas, bosser, tu n’as que ça à faire ! »
Et ça porte ses fruits. A la fin de l’année, Emeline présente son dossier à l’Ecole Estienne où elle est acceptée et dont elle sortira deux ans plus tard avec son BTS en communication visuelle obtenu avec mention.
Diplôme en poche, direction Bordeaux pour une Licence professionnelle en Design et Communication de Projet. « Et là, je passe d’une école hyper carrée à la fac… Bref, j’ai l’impression de perdre mon temps. » Heureusement, elle effectue son stage de fin d’études à arc en rêve centre d’architecture. Elle y apprend la rigueur de la mise en page aux côtés de la graphiste Emmanuelle Maura. Le stage dure normalement un mois, mais Emeline continue ce qu’elle a commencé, un travail de préparation d’une expo sur les architectes du cabinet japonais Sanaa.
« En parallèle, j’envoie des CV partout. Sur 100 boîtes contactées, 2 seulement ont daigné me répondre, mais par la négative. » C’est par son réseau qu’Emeline entend dire que le cabinet d’architecture Flint cherche un graphiste. « Je les appelle, ça se passe super vite. Je m’inscris à la Maison des Artistes le 1er mai 2008, le jour de la fête du travail ! J’ai 20 heures par semaine chez Flint, plus des missions pour arc en rêve. »
Au bout de trois ans chez Flint, Emeline a des envies de renouer avec La Rochelle et enchaîne les allers-retours le week-end. Elle renoue aussi avec Olivier, avec qui elle était… au lycée. Celui-ci vient la rejoindre à Bordeaux et un an après, Emeline tombe enceinte. « A 26 ans, j’étais la première de tout notre groupe de copains. » Juste après la naissance de leur fils, Olivier est liencié économique. Quand Emeline lui demande ce qu’il veut faire, à peine 24 heures de réflexion après, il lui répond : apiculteur ou saunier. Bon, côté abeilles ça va pas fort, et des marais salants à Bordeaux… Quant à Emeline, elle peut bosser pour ses clients bordelais et parisiens à distance. Back to La Rochelle, go go go !
Les voilà dans leur fief natal. Olivier trouve du boulot sur un marais salant à Loix-en-Ré. Il prendra pour son propre compte une exploitation l’année suivante, à Saint-Clément.
Au même moment, un des clients capitaux d’Emeline ferme tout et disparaît. « Un bon gros creux de la vague. Je multiplie les boulots, travaille dans des boutiques de vêtements du centre-ville le matin, garde mon fils qui n'a pas de crèche l'après-midi et je bosse la nuit pour relancer mon activité de graphiste. »
La situation s’améliore, doucement mais sûrement. « On a la tête dans le guidon, mais j’ai quand même envie de me lancer dans un projet personnel. Avec son métier qui s’articule autour de la météo et des marées, je ne sais jamais trop quand Olivier va être là, ça se décide le matin pour le jour même, l'organisation quotidienne est compliquée. On réfléchit à un calendrier des marées, juste pour nous. On veut qu'il soit beau, pratique et qu'il puisse être accroché dans notre entrée pour permettre de voir en un coup d'oeil toutes les informations qui nous sont utiles. »
Quand Emeline se renseigne pour obtenir les données des marées, elle se heurte au coût de la licence d'utilisation du SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine). Elle décide donc d’en faire imprimer plusieurs et d’en vendre pour rentrer dans ses frais. « Le calendrier est sorti en avril 2014, forcément c’était un peu tard… On n'a presque rien vendu. »
L’année suivante, en 2015 donc, le calendrier ressort mais c’en est fini de l’offset : « La qualité d'impression était parfaite mais j'avais dessiné ce calendrier comme un objet d'Art, j'avais envie de mener le projet du début à la fin et de l'imprimer seule sans faire appel aux machines mais par le biais d'une technique artisanale, avec mes mains ! Or, j'avais déjà pratiqué la sérigraphie à l'école Estienne. Mais n’ayant pas le budget pour du top équipement ni la place, avec Olivier, on se met à bricoler un atelier… » Bricoler, c’est une façon de parler, car si tout est fée à la main par cette autodidacte, c’est avec infiniment de contraintes - « c'est artisanal mais je veux que ce soit performant. » Emeline fée 150 calendriers dans son garage, c’est physique… « Les imprimer à la main, tirer la racle, c’est mieux que d’aller dans une salle de sport ! »
Ce coup-ci le calendrier est terminé fin janvier – « On progresse ! ». Emeline est contente du résultat, les gens le voient, lui en parlent. et le projet reçoit de plus en plus de soutien. Fin 2015, l'Atelier SerreJoint voit le jour, Emeline en est membre fondateur avec 4 amis. C'est une association loi 1901 qui a pour but de faire découvrir les techniques d'impression artisanales. Les recettes du calendrier des marées vont à l'association afin que celle-ci s'équipe en matériel de sérigraphie, propose des ateliers au public et mette son équipement au service des artistes.
En 2016, le calendrier navigue vers d'autres ports en plus de La Rochelle – Saint-Malo, Brest, Pornic, Lacanau.
Et pour 2017, Emeline maintient une série classique mais crée des hors-série avec la collaboration de gens dont elle aime le travail : West is the best pour les marées à Quiberon, Surf Night Bordeaux pour Le Cap Ferret, et Salty Journal pour Vieux-Boucau. Et afin de n’oublier personne, Emeline a également créé des calendriers pour Boucau-Bayonne et Deauville-Trouville.
« Le calendrier des marées me permet de faire des rencontres et de partager ma passion pour le design graphique, le beau papier, et l'océan. » Son gagne-pain quotidien cependant, c’est le graphisme. Suffit de taper son nom dans google pour tomber sur son site et avoir un aperçu de son talent. Mais son rêve, à cette fée, c’est de faire découvrir à tous l’impression artisanale. D'ailleurs l'Atelier SerreJoint cherche un lieu qui s’y prêterait pour amener son matos de sérigraphie et où Emeline pourrait devenir pour de bon la Fée Retrousser ses Manches et Imprimer !
Questions-réponses par courriel.
Dans quelles boutiques t’habilles-tu à La Rochelle ?
Le plus souvent dans une des boutiques de mon amie Anne (À ton étoile, rue Saint-Nicolas et Own rue des Merciers). J'aime aussi beaucoup la sélection de Carole chez Madame Rêve rue Saint-Nicolas et je vais aussi parfois chez Les Sœurs Chiffons rue Chaudrier.
Et tes spots pour manger / boire un verre ?
Le Café Rondeau, Le Vinophone, Le Barbarella, L'étoile du Marin, La Solette, Le Panier de Crabes.
Quel événement artistique et culturel t'a marquée et / ou lequel à venir tu attends impatiemment ?
Une exposition qui m'a marquée c'est Beauté Congo à La Fondation Cartier. J'ai été vraiment surprise par cette exposition, par ses œuvres variées, colorées, vivantes, à la fois politiques et drôles ! Plus récemment à la Galerie Bletterie, j'ai trouvé sublime et très poétique l'exposition Généalogies Imaginaires de Lara Blanchard.
Si tu avais une baguette magique pour de vrai tu en ferais quoi ?
Si j'avais une baguette magique elle serait en surchauffe ! Je ferais disparaitre les centrales nucléaires, les pesticides, les saloperies qu'on nous met dans la bouffe et les médicaments, les armes... Je nettoierais les océans, je prendrais aux riches pour donner aux pauvres, j'abolirais toutes les religions et je rajouterais 4h à chaque journée pour avoir le temps de faire tout ce que je veux sans sacrifier mes heures de sommeil !
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