Emeline Leboeuf

La Fée Des Passerelles.

Emeline Leboeuf

 

PhotoS Taï-nui
Texte Elisabeth Schwartz
Les voyages forgent de belles âmes, et les voyages intérieurs les cisèlent. On se dit que c’est très vrai quand on écoute Emeline, co-fondatrice de l’association Les Arts Handi’lettante, raconter son parcours et ses rencontres. Cette jeune quadragénaire est de mars. Le mois, pas la planète ! Ceci dit Emeline a un petit quelque chose d’extra-terrestre…

Attention convoi exceptionnel : Chères lectrices et lecteurs de mon cœur qui aimez rencontrer les fées de LR à travers ces pages, sachez que ce portrait-là est long (enfin relativisons, sa lecture vous prendra quoi, même pas cinq minutes). Mais Emeline, c’est ma copine. Et je voulais la biografée depuis un bail. Alors pour son anniversaire, mon cadeau c’est cette bio !

La dissertation qu’elle a écrite dans le cadre de son Master 1 de Sociologie sur le sujet « Quels espaces habités vous ont socialisé(e) ? » commence par ces mots : « J’ai habité une maison sans toit… ». Cette maison, elle y a habité de l’âge de 6 ans à 18 ans, à Lusignan, dans une cité appelée « Font de Cé ». Et là, bon sang de bonsoir on se dit qu’il n’y a pas de hasard, devinez quoi, il y a une source où la fée Mélusine venait autrefois se baigner.

Mais ce n’est pas la seule particularité du lieu. La cité est constituée de grands espaces arborés et d’une vingtaine de maisons, des blocs carrés à toit plat, logements de fonction des chercheurs de l’INRA, l’Institut National de Recherche Agronomique. « Agencées de manière différente selon le statut social, ces maisons étaient vues par les villageois comme des « cages à lapins », se rappelle Emeline. Elles avaient été pensées sur plan par des architectes parisiens qui, ayant amalgamé Sud de la Loire et Sud de la France, avaient imaginé une architecture totalement en décalage avec l’habitat traditionnel du Poitou-Charentes. »
Communauté, espace de l’ « entre-soi » entre thésards et gens venus d’ailleurs, Font de Cé constitue une première ouverture sur le monde pour la petite Emeline. « Durant mon enfance, j’ai voyagé de chez moi en écoutant les histoires et les accents, en imaginant les lieux, les gens, en m’endormant à la fin des multiples et fameuses soirées diapos, en regardant le globe et les divers objets ramenés, en dégustant les recettes reproduites… » Voilà ancré le goût du voyage et des grands espaces.

Emeline Leboeuf

A l’âge de 18 ans, un Bac B (Economie & Social) en poche, Emeline est une jeune femme qui va bientôt quitter le cocon familial, déjà bien indépendante et autonome. Du coup, elle hésite fortement à suivre sa famille lorsque son père part en Australie pour une mission de 9 mois. Mais Sydney, ça ne se refuse pas. « Une super ville, dont j’ai retrouvé l’ambiance de bord de mer, la lumière et la décontraction à La Rochelle. » Là-bas, l’université vaut la peau des fesses, donc il est décidé qu’Emeline refasse l’équivalent d’une Terminale dans un petit lycée d’un quartier populaire. « Il était hors de question que je porte un uniforme ! » Le but : parler Anglais et rencontrer du monde. Emeline se fait plein de potes, et se rend compte que 9 mois, c’est très court. Quand il faut rentrer, la jeune femme demande à ses parents l’autorisation de rester, qu’elle obtient. « Vingt ans plus tard, je ne me suis toujours pas remise de la chance que j’ai eue qu’ils acceptent de me laisser seule en Australie. » Une condition cependant, le « deal » passé avec ses parents : suivre des études de Psycho via le CNED. Emeline vit en habitat partagé dans le quartier de Newton, garde des enfants, rencontre des gens qui sont toujours des amis aujourd’hui et passe beaucoup de temps dans les procédures administratives pour prolonger son visa.

Sydney-Poitiers (arf), retour simple

Quand elle doit rentrer passer ses examens en France, elle pense bien repartir aussitôt fait, mais dans l’avion, une sorte de « feed-back » s’opère. « Je n’ai pas dormi, tant de pensées s’entrechoquaient. » En atterrissant, Emeline sait qu’elle ne retournera pas à Sydney. « C’était un beau rêve, j’ai vécu la magie et eu un plaisir immense à découvrir l’Australie. Mais même si j’ai raté mes exams une fois rentrée en France, je n’ai jamais regretté de ne pas être repartie. »

Ok, mais qu’est-ce qu’on fée maintenant ? Une fac d’Anglais à Poitiers pour valoriser son niveau d’Anglais avec un DEUG... Et tout d’un coup la décision de s’inscrire à l’Ecole d’Educateurs Spécialisés.
Fraîchement diplômée, elle effectue un remplacement comme éduc spé auprès d’autistes très déficitaires entre 10 et 14 ans dans un IME, un institut médico-éducatif qui fait partie de l’association ADAPEI 17, où Emeline travaille toujours aujourd’hui en tant que chef de service. « Mon directeur était visionnaire, il voulait ouvrir, restructurer, modifier les pratiques. Moi ça m’allait bien car je changeais de poste tous les ans, ce fut hyper-formateur de devoir s’adapter avec des équipes nouvelles, de faire la jonction avec la hiérarchie, de travailler en confiance, de rendre lisible ce que nous faisions. Je me suis découverte des compétences dans la coordination et la conduite du changement. »

Emeline Leboeuf

Nous sommes en 2003. Emeline est mariée, elle attend un bébé, et passe cinq mois de sa grossesse allongée, à vivre au rythme des émissions de radio. « Quand ils font grève, ça fout en l’air tout le programme de ta journée ! » Après un petit congé parental, elle reprend du service à l’IMP (institut médico-pédagogique) de Port Neuf et Bateau bleu, auprès d’enfants déficients intellectuels et autistes entre 4 et 10 ans. Elle ressent la nécessité de mieux comprendre les organisations pour mieux les influencer – « Quand on travaille avec des gens, c’est bien de savoir comment on fonctionne » -, et demande une formation en Systémie. Quésaco ? Une approche utilisée dans certaines thérapies individuelles ou familiales, pour comprendre la pensée complexe, analyser les organisations, regarder les relations entre les gens comme des systèmes ouverts où chacun a une action sur l’autre. « Cela permet de savoir quelles lunettes on chausse par rapport à l’analyse d’un fait, donc connaître sa propre vision et s’en dégager pour ne pas la calquer sur l’autre, et ainsi mieux le comprendre. » Emeline reconnaît que c’est une formation intense, où l’on est pas mal exposé et brassé. Mais dans une période émotionnellement chargée, avec un divorce et un décès, l’approche systémique lui est d’un grand secours. « Forsyfa. Je recommande. Ça m’aide encore pour mon boulot et ma vie privée. » A l’issue de cette formation, Emeline ose postuler à un poste de chef de service.

 

Art et culture pour tous, le plaisir comme finalité !

Si elle ne se destine pas à la psychothérapie familiale, Emeline porte une attention particulière au travail effectué avec les familles, à la valorisation de la place sociale et à l’ouverture des possibles par la société. Et une idée iconoclaste germe : si on arrêtait de penser à la musique et à l’art plastique seulement comme thérapies, mais simplement comme sources de plaisir ? Elle passe de la théorie à la pratique en faisant venir à l’IMP la plasticienne Anne Rocher, qui refait toute la déco des locaux avec les enfants. Ensuite c’est un jazzman, Bruno Delepouve, qui propose de les initier aux percussions, et d’enregistrer un CD à La Sirène ! Puis c’est Carole Corade, une prof de guitare qui va faire travailler le groupe de l’IMP sur le même programme que ses élèves du Conservatoire. Chaque groupe travaille de son côté, puis ensemble, pour une représentation finale commune. « L’idée est que les personnes en situation de handicap mental sortent des murs de l’IMP et que des gens de l’extérieur y viennent. La loi va dans le sens du décloisonnement, mais ce n’est pas si simple dans les faits. » Ainsi, lorsque des enfants montrent des aptitudes réelles pour une discipline artistique, après avoir quitté l’IMP il n’y a pas de continuité. Une rupture perçue comme un véritable gâchis de compétences dans certains cas. « Ce n’est pas quand on joue de la musique tout seul qu’on va faire le bœuf », mais miss Leboeuf veut faire quelque chose pour changer cela.

A partir de constats de ce type et d’expériences multiples, la démarche s’affine et s’affirme. Emeline et son compagnon Franck mûrissent leur idée et se lancent. Ils créent l’asso Les Arts Handi’lettante en mars 2015. L’objectif : permettre un accès diversifié aux activités culturelles et artistiques pour les personnes en situation de handicap, en favorisant la mixité sociale. La vocation de l’association est de mettre en relation des porteurs de projets - structures médico-sociales et particuliers - avec des artistes. Actuellement au nombre de dix au sein de l’asso, ces derniers sont musiciens, danseuse, comédien, marionnettiste, conteur, photographe, plasticienne. Pas de commission pour Les Arts Handi’lettante, Emeline et Franck et les cinq autres membres du bureau donnent de leur temps bénévolement, en parallèle de leur activité professionnelle. Ce à quoi s’ajoute pour Emeline la 3ème année de sa formation d’Ingénierie Sociale couplée à un master 2 de Socio, avec entre autres la rédaction d’un mémoire sur le thème de la participation. « J’analyse la manière dont des professionnels proposent des instances de participation, mais dans les faits laissent sur le côté certaines personnes. Je regarde derrière les écrans de fumée pour proposer des préconisations. » Du genre qui va au fond des choses la demoiselle…

Alors que l’asso Les Arts Handi’lettante s’apprête à souffler sa première bougie, Emeline et son équipe portent leur projet autant qu’ils sont portés par lui, qui se construit au fur et à mesure des rencontres. Comme par exemple avec les élues à la culture et au handicap, Marion Pichot et Séverine Aouach-Baverel, et les techniciennes, Catherine Levron et Marie Chauvet. « A plusieurs, on réfléchit mieux ! se réjouit Emeline. Il y a de nombreuses initiatives dans tous les coins que la mairie porte à notre connaissance. Notre mission est de créer des liens, des passerelles avec une liberté de pensée et un champ d’action ouvert du fait de notre indépendance. »

Emeline Leboeuf

«A plusieurs on réfléchit mieux !»

Du 14 au 20 mars 2016, c’est la semaine nationale du handicap. Et le 17 mars c’est la Saint-Patrick certes, mais c’est surtout le début du festival Springtime Delights. Quel rapport ? Hé bien justement le rapport naît encore de rencontres, de décloisonnements. « L’asso envisageait d’organiser des ateliers d’art plastique sur la friche du Gabut. Qui dit friche dit CUGE – Collectif Uni pour un Gabut Energique – dont la trésorière, Christelle Ara, nous a parlé du festival Springtime Delights prévu le même week-end .» Et bam, ça donne le 19 mars, une journée spéciale d’animation qui se déroulera à côté du Gabut sur le parvis de la médiathèque Michel Crépeau. Au programme, des extraits lus de textes d’Howard Buten, des ateliers d’arts plastique, de percussions « à la Stomp », des ateliers graff…, tout cela coordonné par des bénévoles pour favoriser le relationnel car « ça ne se décrète pas », dit la lucide Emeline. Mais ce n’est pas tout. Sur le Vieux Port, vous pourrez assister et pourquoi pas participer à la flashmob conçue par Véronique Chauveau, psychomotricienne danseuse de formation, pour que des adultes en situation de polyhandicap puissent danser. Pour apprendre les mouvements, vous pouvez contacter l’asso.

Emeline raconte les rencontres, égrène les noms des gens avec qui Les Arts Handi’lettante collaborent, et exprime sa satisfaction d’avoir affaire de manière générale à une jeunesse aussi engagée. Ah bon, il y a une vie au-delà des écrans ? « Toutes les assos qui gravitent autour du CUGE sont emmenées par des jeunes très actifs, ouverts, intéressés, fidèles. Ils se bougent, ils rappellent, avec eux c’est simple et efficace, et d’autant plus précieux qu’ils évoluent dans un univers que le médico-social ne connaît pas. » C’est donc quand on arrête de mettre les gens dans des cases que la magie opère, CQFD.

Les Arts Handi’lettante, association loi 1901. Président : Franck Riché ; Trésorière : Emeline Leboeuf ; Vice-président : Pascal Foucaud ; Secrétaire : Claude Bessey ; Administrateurs : Françoise et Djo Bordet, Anne Colmet Daage.

Courriel : lesartshandilettante@gmail.com
Site internet en construction

Emeline Leboeuf

 

De quoi j'me mail ?

Questions-réponses par courriel.

Dans quelles boutiques t’habilles-tu à La Rochelle ?
Je suis attentive aux bons plans de la fée car j’aime dégoter des jolis petits trucs dans des boutiques sympas et pas chères !

Et tes spots pour manger/boire un verre ?
Le midi j’aime l’ambiance « bistrot parisien » du Café de la Paix. Sinon j’apprécie l’ambiance tranquille et rétro du restaurant du Mail (ils ont du thon rouge excellent). Il y a aussi le Hangar 27 de La Pallice… Mais ce que je préfère c’est le pique-nique face à la mer !

Quel événement artistique ou culturel t'a marquée et/ou lequel à venir tu attends impatiemment ?
J’ai adoré le spectacle de rue de la Baleine Cargo 10 000 pas sans amour. S’ils le rejouent j’y retourne ! Le texte inspiré de la comédie d’Aristophane (écrite 400 ans avant JC.) est d’une terrible actualité ! Les femmes dénoncent toutes les guerres, prennent leur destin en main,  cherchent et trouvent un moyen efficace de lutter contre l’existence de ces guerres ! Drôle, terrible et magnifique !

Si tu avais une baguette magique pour de vrai, tu en ferais quoi ?
Ben… la campagne rochelaise n’est pas terrible point de vue paysage alors si j’avais une baguette magique, je déplacerais les montagnes… pour les mettre à la place des cuves de La Pallice ! Le rêve !
Sinon, il y a une baguette qui marche bien, c’est celle qui active les p’tits bonheurs du quotidien, ceux qui sont en premier dans « la liste des choses qui me font du bien… » Cette baguette elle est magique et on peut l’activer tous les jours. Il faut juste y penser !