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Le projet ne date pas d’hier, et même plutôt d’avant-hier. C’est en 1978 que des copains, qui s’étaient rencontrés dans le contexte d’activités militantes autour du syndicalisme, du cadre de vie et qui s’intéressaient au plan d’occupation des sols, décident de monter un projet d’habitat groupé pour leurs familles. La notion de propriété ne les fait pas vraiment vibrer, ils ne veulent pas habiter chacun dans ses murs mais au contraire s’épauler entre voisins, créer des relations, bref vivre autrement !
C’est le temps que ça leur prend pour leurs recherches, leurs démarches et pour passer des vacances et des week-ends tous ensemble afin de faire connaissance. Enfin surtout ça bosse ! Le groupe comporte un professionnel du bâtiment et un thermicien qui forme ses camarades, du coup de plus en plus calés en énergie solaire et en écologie, et capables de défendre leurs arguments. Le maire de La Rochelle Michel Crépeau est sensible au projet et leur propose un terrain de 4400 m2 dans le quartier du Petit Marseille.
De 1978 à 1982 ils vont se retrouver régulièrement pour ébaucher leurs maisons, d’abord en carton, avec l’implication d’une dizaine d’enfants, les leurs ! Chacun fait part de ses souhaits, tous veulent des maisons différentes avec des façades plein sud et de grandes ouvertures ; des murs trombe pour le chauffage solaire ; des cheminées avec un système bouilleur récupérateur de chaleur – poêles et inserts apparaîtront plus tard ; et du côté de la façade nord, une traboule, c’est-à-dire une coursive pour aller les uns chez les autres en chaussons.
Les plus chevronnés informent et forment les plus ignares, dont la fée aurait sûrement fait partie car j’apprends ici plein de nouveaux mots. Vous aussi ? Allez, j’vous épargne de wikipédier ce qu’est un mur trombe, je le fée pour vous : Le mur Trombe (parfois appelé mur Trombe-Michel) est un système de chauffage solaire dit « passif ». Mis en œuvre et expérimenté par le professeur Félix Trombe et l’architecte Jacques Michel dans les années 1950-1970, ce dispositif tire parti, par effet de serre, de l'énergie gratuite du soleil qui chauffe l’air ensuite diffusé dans le bâtiment. Et le moniteur.fr de rajouter que le mur Trombe revient sur le devant de la scène pour des applications en architecture bioclimatique.
Le projet comprend aussi nombre d’espaces communs : une salle pour la convivialité avec cuisine et cheminée, des ateliers, une laverie – comportant deux machines – qui deviendra un haut lieu de discussion et de transmission de l’info, un grenier, des congélateurs, un puit pour l’arrosage et du bois de chauffage. Les bûches ne sont pas comptées et pour l’eau, il y a un compteur unique.
Tout ce petit monde foisonnant d’idées est aidé par un ami architecte, Bruce Krebs. Le groupe crée une SCI et contractualise celui-ci à mi-temps durant la construction. Chaque famille souscrit à un emprunt, mais dans un seul bloc : la SCI. Les amis se portent caution solidaire les uns des autres. Seulement deux banques acceptent alors ce dispositif : la Caisse d’Epargne de Marennes-Oléron et le Crédit Immobilier.
Avant même d’y habiter, SOL 6 est né.
Le projet est soutenu dans son aspect juridique par le Mouvement Habitat Groupé autogéré. Ce qui est important pour les habitants de SOL 6, c’est le vivre ensemble avant tout. Ils ne veulent surtout pas rentrer dans un dispositif de copropriété et font une différence entre droit d’usage et droit de propriété. Avec une clause de non spéculation, ils se voient attribuer un nombre de parts sociales proportionnel à leur apport financier, ce qui leur donne le droit de jouissance d’un logement et des parties communes. Chaque maison est privative, mais si une famille reçoit du monde, la place disponible est mise à disposition. C’est l’idée, chacun a sa vie privée mais l’entraide est la clé. Et même si le lieu-dit s’appelle le Clos Margat, cette bienveillance est également tournée vers l’extérieur car la salle commune est parfois prêtée à des assos du quartier, et pendant les Francos, les copains des copains peuvent venir planter leur tente dans le grand jardin !
Le regard de l’extérieur, justement, a pu évoluer. Il faut dire que dans les années 80, il y avait seulement une trentaine d’habitats de ce type collaboratif – contre près de 400 groupes aujourd’hui en France, pour lesquels la loi Duflot a recréé un statut juridique plein et entier. Au départ, bien sûr, le voisinage a eu des a priori : mais keskecékeça ? Une résidence de vacances ? Une secte ? L’un des habitants faisant partie du Comité de Quartier du Petit Marseille, les gens sont conviés à venir se rendre compte par eux-mêmes de ce qu’est ce projet, en vrai.
En vrai c’est un fonctionnement dans lequel tous les services sont partagés, chacun ayant une mission : fermer le portail la nuit, sortir les poubelles, entretenir le matériel... La mise en commun de voitures est actuellement en cogitation, toujours dans l’optique de faire des économies et de réduire l’empreinte écologique. Une fois par mois à 18h30, une AG au cours de laquelle les décisions se prennent plus souvent par consensus que par vote, est suivie d’un repas. SOL 6 a sa charte bien sûr, avec tout ce que ses parties prenantes ont envie de vivre, ou pas. Elle a été écrite récemment, mais son contenu était pratiqué naturellement depuis belle lurette.
En vrai, c’est un esprit de fête, dès la première année avec une crémaillère, imaginez six familles qui invitent chacune 30 personnes, on monte vite à 200 ! Puis fiesta pour les 10 ans, les 20 ans… Pour célébrer les 25 ans de SOL 6, ce sont les enfants devenus grands qui ont pris la fête en charge, sur la thématique « Soixante-huitards », avec mini-manif, banderoles à slogans pour rire et faux CRS…
En vrai, c’est une relation de voisinage resserrée, un quotidien partagé et une vie de famille puissance six ! A l’époque, même ceux qui n’avaient pas d’enfant en bas âge pouvaient être amenés à s’occuper de ceux des autres, emmener tout le monde à l’école, garder un œil sur les petits qui jouaient dans le jardin et sur ceux du voisinage car quel paradis ! Aujourd’hui, ce sont les petits-enfants qui courent sur le grand terrain entouré de haies et qui gravissent les buttes constituées du remblai des travaux initiaux. Il va sans dire que lits bébé et poussettes sont mutualisés.
Pas de mariage pourtant parmi la progéniture du groupe, qui se considère comme des cousins. S’il y a eu des amourettes, les anciens ne veulent pas le savoir - « Ce ne sont pas nos affaires », et considèrent surtout les bienfaits d’une éducation par et pour le vivre ensemble. Tiens, voilà Mathieu qui passe rendre visite à ses parents avec sa fillette. Il a vécu là pendant 20 ans : « J’ai adoré. Quand j’ai commencé à vivre tout seul, j’ai trouvé ça bizarre de ne pas connaître mes voisins. »
Si les six familles à l’origine de SOL 6 sont restées groupées très longtemps, l’une d’elles a dû partir en 2013. Après validation de tous, un nouveau couple s’est installé. Avec des questions, des idées neuves et une énergie renouvelée pour l’ensemble des habitants. Leur date d’arrivée ? Un 31 décembre, soir de réveillon. Car rappelez-vous, à SOL 6, tout commence par une fête…
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